Les amis de la Novelline – Assemblée générale du 30 mars 2019

Rapport Moral

Je vais commencer cette assemblée par mon rapport moral qui sera sans doute le dernier, car cette année, je souhaite passer la main. Il y a déjà 7 ans que je suis présidence de notre association. Il me semble important de passer le relais. Je profite de ce moment pour remercier du fond du cœur tous les administrateurs qui m’ont fait confiance et m’ont soutenus pendant ce long mandat.
Au cours de l’année, nous nous faisons happer par toutes les questions que la vie quotidienne engendre. J’aime bien pour l’Assemblée Générale, prendre un peu de recul, reposer des questions sur les fondements de l’association et les choix que nous faisons. Pour cela j’ai souhaité partir de questions vastes mais que fondamentales.

Qu’est-ce qui fait sens dans nos vies pour chacun d’entre nous?

Cette question nous renvoie à la capacité plus ou moins consciente d’écrire notre destin et de le réaliser. Notre capacité de nous projeter dans le futur, capacité de rompre avec le quotidien qui peut parfois devenir monotone, en un projet de vie qui nous convient et nous attire.

La lésion cérébrale constitue une atteinte de ces capacités. Elle provoque une rupture identitaire. Elle altère totalement la possibilité de poursuivre le projet de vie antérieur. Elle implique de revisiter le sens préexistant pour tenter de construire un nouveau parcours à la fois pour la personne, et, ses aidants.

Pour aider la personne blessée à se re-construire, notre association s’est mobilisée au cours de ces 6 dernières années passées, pour réfléchir, poser les principes d’un habitat dans lequel le partage et le soutien entre pairs prend tout son sens. Cette phase d’élaboration, de construction et de mise en oeuvre est passée. Nous commençons à pouvoir analyser nos réussites et nos erreurs.

Habiter cette maison, engage les locataires : Ils peuvent y trouver du réconfort à leur solitude mais c’est eux qui gardent en main le destin de leur vie personnelle.
La vie collective les amène à développer de la tolérance, de la compréhension vis à vis de l’ensemble des locataires. Le vivre ensemble, l’échange de point de vues, la confiance respective sont essentiels pour que le groupe trouve un équilibre dans lequel chacun a sa place et son rôle.
Cette conscience de l’autre est difficile à avoir surtout après un accident.
Cela conduit parfois à des situations très déstabilisantes, imposées au groupe qui n’est pas forcément prêt à les recevoir.

Lorsqu’une partie de l’équilibre du groupe est mise à mal, l’association se pose des questions :
– Est-ce que l’on arrive à créer suffisamment de moments durant lesquels les échanges seraient bénéfiques pour tous ?
– Est-ce que nous réussissons à garder une bonne distance ?
– Et cette question qui nous traverse depuis le début : quelle est la bonne place pour chacun ?

On ne perd pas de vue les affirmations que nous n’avons cessé de répéter :
– Les personnes en situation de handicap ont besoin qu’on les regarde avec confiance.
– Elles doivent être au cœur des décisions qui les concernent.

Le travail que nous menons avec nos partenaires les plus proches nous montre bien que dans notre département, c’est nous qui devons porter la voix des blessés et travailler à défendre leurs droits. Notre rapprochement avec l’AFTC ne pourra que nous aider à renforcer cette action.

Mais revenons sur une question d’importance: Qu’est-ce qu’habiter ?

 Au moyen âge le peu de moyens, les maisons exiguës ne permettait pas de concevoir l’individu. Il n’y avait pas de vie privée possible. L’Habitat se passait sur la place publique. La pression sociale ne permettait pas d’être soi même. Chaque personne était membres d’un collectif.
 Au 18ième- 19ième les individus se positionnent différemment devant les collectifs. On commence à vouloir une vie privée. Le souci de la personne, apparaît : Goût de la liberté de se cultiver, de se penser en qualité d’être, capable de produire sa propre pensée. On voit alors apparaître des espaces dédiés (chambres, cabinets de conversations)… L’habitat se transforme pour répondre à une nouvelle conception de la qualité de vie.
 Puis, l’individu est devenu important. Il a obtenu le fait de choisir ses relations dans la vie intime : Choisir ses amis, choisir ceux de qui on souhaite être séparé. Alors on assiste à la création de salons – de murs et de portes – de lieux de convivialité.

Aujourd’hui, avoir un chez soi c’est avoir une place dans la société. Dans son logement, on se protège de l’extérieur. On s’y enferme, on peut s’y retirer. On peut recevoir. C’est l’endroit où l’on peut se relâcher. Déployer son style de vie, ses horaires, sa nourriture, sa décoration, son ordre ou son désordre…
C’est parce qu’on est chez soi qu’on s’autodétermine. Chaque individu a sa manière propre d’habiter. Notre habitat nous ressemble. Les objets qui habitent notre intérieur sont une manifestation de notre humain. Ils nous font habiter mieux notre habitat. Notre logis n’est pas un lieu public.
Mais, lorsque quelqu’un ne va pas bien, son logement devient vite un lieu public avec des personnes qui y entrent pour l’aider. Malgré cela, l’intimité de chacun doit être protégée. Le chez soi secret est normalement inaccessible à l’aidant (la chambre par ex). L’espace intime ne doit pas être transformé en un espace de travail. Chez soi on s’autorise à choisir ses propres normes. On n’a pas besoin des éventuels jugements moraux sur son intérieur.
On choisit aussi son habitat en fonction de ses attachements. On choisit sa ville, on choisit son quartier, on choisit son style de vie, les amis que l’on souhaite accueillir. L’habitat permet de présenter qui on est. L’habitat est une vraie sécurité.
Etre autonome dans son logement, ne veut pas forcément dire solitude. C’est parce qu’on est autonome qu’on a besoin des autres et qu’on doit savoir gérer ses dépendances.
Pour aider pleinement une personne, il faut aussi l’aider à affronter l’extériorité sans peur. Mais il faut passer par la coquille pour avoir la force de l’envol.

Toutes ces considérations montrent bien à quel point il est difficile de créer un lieu d’habitat à partager.

En France il n’y a que 20 000 places d’hébergements fléchées « personnes cérébro-lésées » pour plus d’un million de personnes (source CEDIAS – CREAI IDF 2015)
(On parle de 100 000 à 150 000 personnes traumatisées crâniennes par an en France, dont 5000 à 10 000 seraient considérées comme traumatisés crâniens graves)

Faire le choix de venir vivre à la Novelline, d’y louer un appartement, n’implique pas les personnes de la même façon qu’elles le seraient si elle cherchaient un appartement indépendant, si elles cherchaient simplement un toit.
Venir à la Novelline, c’est reconnaître le besoin d’avoir un chez-soi indépendant, mais aussi souhaitez des temps de partages, des activités collectives, des échanges avec les autres locataires. C’est faire le choix de l’entraide. C’est prendre un engagement dans un collectif. Comment nourrir ce choix ? Comment le renouveler pour qu’il reste dans la conscience des personnes accompagnées ?

Dans le rapport d’évaluation de l’impact social de l’habitat inclusif pour les traumatisés crâniens et cérébrolésés fait par l’UNAFTC en mai 2018, on constate que :
83% des colocataires affirment avoir progressé en autonomie
76% de colocataires ont davantage le sentiment d’être une personne comme les autres
100% se sentent en sécurité dans la colocation
76% indiquent se sentir moins seuls
69% se sentent plus libres de faire ce qu’ils veulent
La colocation procure donc un véritable mieux être à ses habitants
Et du côté des famillles :
94% des familles sentent leurs proches plus en sécurité et sont rassurées.
74% des familles indiquent passer plus de temps avec les autres membres de la famille
81% des familles participent davantage à des activités extérieures et à la vie du quartier

Je ne vais pas détailler tout le rapport, mais la conclusion est très claire :
L’habitat partagé offre une alternative de qualité pour le logement des personnes traumatisés crâniennes et cérébro-lésées sans surcoût pour la société.
Encore faut-il que les droits que les personnes auraient en étant seules chez elles soient maintenus avec ce choix de la colocation.

Le logement est un droit et il redonne aux personnes en situation de handicap une dignité qu’elles ont parfois perdue en devenant dépendantes. Même si la vie en colocation a ses contraintes, les colocataires sont moins isolés et reprennent du pouvoir sur leur propre vie.

Chaque année de nouveaux habitats partagés s’ouvrent, que ce soient des chambres dans de grands appartements ou des studios indépendants, les pouvoirs publics s’intéressent maintenant à cette nouvelle forme d’hébergement, appelés habitats inclusifs. L’évaluation de l’impact social de l’habitat partagé leur donne raison.

Plus que jamais, nous devons être présents et participer à la mise en place de cette nouvelle politique afin de veiller à la qualité de ce qui sera proposé aux personnes en situation de handicap.

à Cluny le 30 mars 2019